Pour t'égarer dans le néant.. [ Mathias ]

Le courant avait forcé le petit corps de Benjamin à dériver, et celui-ci, trop occupé à battre des jambes pour conserver la tête en dehors de l’eau, ne s’en rendit compte qu’une fois que le monde grouillant et bruyant disparut peu à peu autour de lui. Lorsque les personnes capables de se rassembler efficacement dans des barques ou des morceaux d’épave réussissaient à s’organiser pour se diriger tous vers le même endroit, lui avait un mal de chien à se localiser ou même à nager de manière à rester vivant.. Du coup, serrant Cartouche contre lui en survivant à l’aide de grandes bouffées d’air salvatrices, Benny sentit ses muscles se tendre douloureusement, atteignant un point de non retour. C’était comme si une salve d’électricité le parcourait tout entier, et, bientôt, il se sentit incapable d’aller plus loin.

Pourtant, ses yeux bleutés que l’eau faisaient miroiter de détresse repéraient une île, un peu plus loin. Oh, pas vraiment lointaine ; peut-être même sa mère était-elle échouée sur le sable et l’appelait désespérément, attendant de le revoir pour le rassurer et le réchauffer. Il murmura son nom, faisant l’erreur d’avaler une gorgée d’eau, et il tenta de tousser, en vain, sentant ses jambes incapables de le faire remonter à la surface. Ses petits poings se serrèrent sur les poils imbibés d’eau de son chien en peluche, et son esprit lui échappa par filaments incompréhensibles. Il revit l’image de ses parents dans son esprit, et tenta une fois, une dernière fois de remonter à la surface, puisant le reste de ses forces au plus profond de lui. Et si ses cheveux blonds frôlèrent le bord, il sombra dans l’inconscience l’instant d’après, incapable d’avaler une dernière gorgée d’air..

Lorsque le bateau avait commencé à couler et à chavirer, Mathias avait vu ça comme une aubaine. Un reportage en plein milieu d'un naufrage catastrophique. Il n'avait pas voulu que ses co-équipiers s'en aillent sur un canot de sauvetage au début. Il ne voulait rien rater de cet évènement. Puis Daisy fut la première à disparaître, et son cameraman... Et les autres... Il s'était retrouvé seul sur ce bateau. La situation devenait dramatique, et lui ne le réalisait toujours pas. Puis il tomba à l'eau et s'agrippa à une énorme blanche en bois qui faisait sûrement office de garde-robe sur le bateau. Puis il dériva sur l'eau, voyant autour de lui, des dizaines et des dizaines de cadavres, de gens se noyés, ou sur des petits bateaux...

Il était épuisé, et n'avait que très peu de force. Il n'arrêtait pas de penser, penser et encore penser. D'ordinaire, il aurait déjà était mort de fatigue d'avoir autant réfléchit. Pour lui, tout ceci n'était qu'un cauchemar. Un cauchemar dont il fallait se sortir au plus vite.

Puis, sa dérive l'emmena non loin d'une île. Alors il put retrouver les quelques forces qui lui restaient pour ramer, ramer et encore ramer jusqu'à la côte de cette île. Il aurait un pied à terre en attendant les secours. Car oui, les secours allaient sans doute arriver prochainement et sauver les miraculés du naufrage. Bien qu'autour de lui, il voyait des personnes coulaient, sombrer au fond de l'océan... Une chose lui traversa l'esprit.

Il voyait un enfant se débattre dans l'eau, essayer de crier semble t-il... Un enfant qui tenait une sorte d'horrible touffe de poil en peluche. Voyant l'enfant sombrer, Mathias n'écouta que son courage.

Qui aurait cru, il y a encore 6 heures, que Mathias Stevens, ce BCBG qui avait fait un scandale au bar parce qu'il voulait un glaçon supplémentaire dans son verre de coca, se retrouverait à jouer les héros pour sauver un enfant. Mais un enfant c'est fragile, un enfant c'est l'innocence.

Il n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps, il lacha sa "bouée de sauvetage" qu'était ce bout de garde-robe, et plongea sous l'eau. A quoi pensait-il ? Que ses cours de sauvetage en mer lui étaient bien utile... Heureusement qu'il avait présenté cette emission l'été dernier sur les dangers que pouvaient représenter le fait de ne pas savoir nager. Il avait pu prendre des leçons particulières avec un entraineur des plus gentleman...

Ayant pris une bonne respiration, Mathias apercevait sous l'eau ce qu'il pouvait apercevoir... Il en lui fallut que quelques secondes pour voir le corps de l'enfant, tenant toujours son animal en peluche. Il l'aggripa, l'attrapa dans ses bras et remonta vers la surface. Il scruta du regard autour de lui et aperçut sa fameuse planche de garde robe à quelques mètres. Il nagea jusque là et posa le petit corps du garçon dessus. Heureusement pour lui, le corps de l'enfant n'était pas resté assez longtemps sous l'eau pour qu'il se noie. Le petit corps bougeait...

En regardant devant lui, Mathias aperçut quelque chose. La terre. Une ile. Une plage. La dérive allait le conduire jusque là... Il se reposa sur la planche, y posant sa tête, en essayant de se dire que le cauchemar était finit, sans penser une seule seconde qu'il ne faisait que débuter...

Lorsque Ben reprit un minimum conscience des choses qui l’entouraient, sa petite bouche se tordit en un rictus de douleur. Ses membres étaient engourdies, ses doigts douloureux à force de rester crispé sur le poil désormais poisseux de Croquette, et son dos s’appuyait contre quelque chose de particulièrement inconfortable. Du bois, sûrement, ou du moins quelque chose qui y ressemblait drôlement. Ses paupières s’entrouvrirent, et il entendit un soupir, quelque part sur sa gauche. Sursautant, le petit blondinet faillit retomber à la flotte, mais se rattrapa de justesse en déplaçant une de ses mains gelées, l’agrippant sans le savoir à celle de quelqu’un d’autre. Un homme, à vue de nez. Son papa avait un peu les mêmes doigts ; un peu plus larges que ceux de sa maman, et avec des ongles coupés courts. Toussant sans discontinuité pour virer l’eau logée dans sa gorge, le blondinet se redressa, tout doucement, sa peluche serrée contre lui. Et il le vit enfin. Son « sauveur ».

Il avait l’air grand, et fort. Mais là, il avait surtout l’air très fatigué. Ce fut à peu de choses près les pensées de Ben, qui prit le temps de fixer le visage de l’adulte avant de baisser les yeux, encore trop bouleversé pour se montrer imbuvable, ou tout du moins respectueux des préceptes de son père. Dans cette situation, il aurait sûrement dû lâcher un remerciement placide, avant de se détourner pour fixer l’horizon, ignorant l’inconnu comme s’il n’avait affaire qu’à un moins que rien. Pourtant, il n’en fit rien. Il calma sa respiration erratique, et, assis en tailleur sans pour autant faire basculer l’embarcation de fortune, le blondinet ramena sa main à lui pour serrer Croquette. Son seul ami, sa seule attache, le souvenir qui le reliait encore à son passé. « J’ai.. peur, et j’ai perdu maman.. » murmura-t-il avec un calme désarçonnant. On ne lui avait jamais appris à pleurer, après tout. Mais il n’eut pas le temps de parler davantage que le bois heurta une terre ferme, le sable, et qu’emporté par l’élan, il tomba en arrière pour atterrir sur la plage, surpris.

Le temps que l'embarcation d'infortune n'arrive jusqu'au sol du sable chaud qui reposait sur la plage, Mathias n'avait pas dit un seul mot. Même lorsque le petit blondinet avait ouvert les yeux et reprit conaissance. Après tout, que pouvait-il lui dire ? Nous avons fait naufrage, la moitié des passagers a disparu sous l'eau, ils sont quasiment tous morts, on est perdus au milieu de nul part et je suis inccapable de te protéger, même si j'en avais la grande envie, ce que pour le moment je n'ai pas... Non il ne pouvait pas lui dire ça, ce n'était qu'un môme après tout.

Non il ne parla pas, il préféra penser... Penser à quoi ? A cette vie de luxe qu'il menait depuis quelques temps ? A cette vie plate et infantile ? A cette vie ou il ne conaissait même pas ce qu'était l'amour... Il préféra alors chasser de ses pensées ces idées là... De toute façon, il venait d'échouer sur une plage. Pas seul en plus, il était en compagnie d'un garçonnet et de son chien en peluche. Il se releva et regarda vite fait autour de lui. Ses vêtements étaient trempés et tellement lourds... Il n'y avait aucune trace du navire dans l'eau. Autour de lui, du sable et encore du sable. Puis derrière, ce qu'on dirait l'entrée d'une jungle ou d'une forêt.

En tout cas, a vu d'oeil, il était seul avec le garçon qu'il avait sauver d'une mort certaine. Seul pour être seul, le temps était peut être venu de faire la conversation... Il s'approcha timidement du garçon qui ne lachait toujours pas l'animal en peluche et qui semblait terroriser, mais qui étrangement, ne pleurait pas. Il s'agenouilla pour se retrouver à sa hauteur.

Euh... Salut !

C'était les seuls mots qu'il sut dire avant de devoir réfléchir une bonne minute avant d'en trouver d'autre.

Il est... mignon ton chien en peluche... Euh... Moi c'est Mathias... Mathias Stevens... Tu m'as peut-être déjà vu à la télé... Ou peut-être pas... Tu dois pas regarder la télé... Ou si en fait... A ton âge, on regarde toujours la télé...

Plus il essayait de parler, plus il s'emmelait les pinceaux...

Euh... toi tu t'appelle comment ?

Benjamin était terrorisé, en effet, et c’était le moins que l’on puisse dire. Fixant le ciel bleu d’un regard exorbité par une trouille phénoménale, il n’avait pas encore conscience que Croquette devait souffrir de ses ongles enfoncés dans ses poils trempés. Ce qu’il savait, c’est que la morsure du soleil sur sa peau dégoulinante de sel le picotait douloureusement, et que l’affreuse odeur d’iode lui filait la nausée. Ce qu’il ignorait, cependant, c’était si cette odeur provenait de son fidèle compagnon, ou bien de lui-même. Et, curieusement, dans les deux cas, il n’était pas plus rassuré que ça. Ce fut une paire d’yeux noisettes qui vinrent perturber sa réflexion futile – dans la détresse, les petits tracas sont toujours les plus catastrophiques – et le petit garçon cilla lentement en détaillant le visage adulte qui lui faisait face. Ce n’était ni son papa, ni sa maman ; néanmoins, cette présence mature eut l’avantage de faire retomber sa pression nerveuse, et, malgré sa respiration encore saccadée, Benny réussit à calmer son rythme cardiaque de quelques battements salvateurs. Car la panique n’est jamais bénéfique.

« Benny. » répondit-il après un temps, essayant de chercher dans ses souvenirs les rares images qu’il avait pu observer via une télévision. Mais ce dénommé Mathias n’avait pas tort ; du haut de ses quatre ans, Ben n’avait jamais vraiment suivi une émission ou quoi que ce soit, pour la simple et bonne raison que son père ne le tolérerait pas le moins du monde. Une bonne éducation se faisait en dehors de l’influence des médias, n’est-ce pas. « Et lui, c’est Croquette. » rajouta-t-il après un instant, baissant ses yeux rougis par la mer vers son chien en peluche. Et la première pensée qu’il eut à ce propos fut que son géniteur piquerait certainement une grosse colère s’ils les voyaient dans un état aussi pitoyable. Le must serait de trouver un moyen de s’arranger un peu, trouver des nouveaux vêtements et même une brosse à cheveux. Le petit blondinet n’avait pas encore conscience de la situation critique.. « J’ai pas le droit de regarder la télé. Mon papa y veut pas. Pourquoi tu passes à la télé ? T’es un chanteur ? » demanda-t-il ensuite, une moue curieuse sur le visage, en caressant nerveusement Croquette de la main gauche.

Le jeune garçon, le petit blondinet, savait parler... Au moins, se dit-il en lui même, si jamais ils n'étaient que deux à survivre il aurait un peu de compagnie... Quoi que, Mathias venait de se rendre compte, c'est la première fois de sa vie qu'il adressait la parole à un enfant... Si jeune... D'ordinaire, ça ne lui serait jamais arrivé. Pas qu'il ait peur des enfants, mais Mathias avait une certaine appréhension quand il se trouvait en leur présence. Ils avaient le don de tout voir, voir ce que les adultes ne voyaient pas, et celui de discerner qui étaient réellement les humains.
Quoi qu'il en soit, le jeune garçon s'appelait Benny et l'affreuse créature qu'il tenait Croquette... C'était sans doute un de ses animal en peluche qu'on considère comme son doudou à son âge... Puis Benny ne le conaissait pas. Il ne regardait pas la télé. Surement un de ses pères très autoritaires qui refusent que leur enfant fasse quoi que ce soit, surement marié à une mère bien trop gentille pour le père... Le fait que Benny lui demande s'il était un chanteur le faisait plutot sourire.

Non... Je ne suis pas un chanteur...

Cependant, l'idée de percer dans la chanson l'avait déjà effleuré lorsqu'il avait 17 ans. L'envie d'être la nouvelle star des Reality-Shows, Reality Shows qu'il avait déjà présenté en plus...

Je suis ce qu'on appelle un... Animateur télé. C'est moi qui présente des émissions, le journal du soir... Ou tu sais l'émission qui fait devenir des gens chanteurs... Enfin, ca doit te paraître compliqué même si j'essaye d'employer un language simple... Bon disons que je suis journaliste alors !

Mathias se laissa tomber dans le sable pour se retrouver en position assise. Le petit garçon semblant légèrement moins effrayé...

Tu étais avec quelqu'un sur le bateau ? Quelle question... Un enfant ne se promène pas tout seul sur un bateau...

Une moue déçue étira les lèvres gercées de Benny à la réponse de Mathias, et il s’ébroua lentement en secouant sa tête de droite à gauche, son esprit vacillant entre la gravité de la situation et les détails futiles que l’on pouvait remarquer en cas de catastrophe importante. S’il n’était pas chanteur, il devait être acteur. Sa maman aimait bien les acteurs, surtout ceux qui jouaient dans des films qui faisaient pleurer, il avait remarqué. Une fois, elle l’avait emmené au cinéma, voir un Disney. Mais il n’y avait pas d’acteur, dedans. Juste des doubleurs. Mais le blondinet n’avait pas encore tout à fait saisi le concept de doubleur, en fait. L’adulte reprit la parole, expliquant qu’il était un animateur télé, et Benjamin cilla en l’observant avec une curiosité mêlée d’incompréhension. Si son aîné n’avait pas tenté de lui expliquer son rôle, il se serait sûrement contenté de cette réponse simple, mais là.. Il s’embrouillait plus qu’autre chose. D’ailleurs, ses doigts se resserrèrent davantage sur le pelage de Croquette, tandis que ses yeux bleus se vidaient de l’éclat d’intérêt qui pourtant y brillaient peu de temps auparavant.

De toute façon, dans ça devenait trop compliqué, Benjamin préférait toujours laisser tomber. Sa maman lui avait souvent répété qu’il était trop jeune pour certaines choses ; elle devait parler de ça. Néanmoins, le mot « journaliste » fit tilter le petit bout de chou qui releva alors vivement les yeux, fixant Mathias qui venait de s’asseoir sur le sol d’une valeur nouvelle. Comme celui qui présentait le journal ? Ça, par contre, il avait le droit de regarder ! Mais que le midi, parce que le soir il devait dormir tôt.. C’était intéressant, enfin il le pensait sincèrement, étant donné qu’il ne comprenait pas grand-chose. Il s’apprêtait d’ailleurs à en faire la remarque lorsque son vis-à-vis reprit la parole pour lui poser une question. LA question, en fait. Soudain, son visage se rembrumit et il jeta des coups d’oeils nerveux autour de lui, ne tardant pas à se recroqueviller inconsciemment en serrant Croquette contre lui, à peine dérangé par l’odeur désagréable qu’il dégageait. « J’étais avec ma maman, et je sais pas où elle est.. » murmura-t-il en reniflant, avant de relever les yeux vers Mathias. Il ne pleurait toujours pas. « Mais j’suis sûr qu’elle est pas loin, alors.. ça va. Et toi, t’es tout seul ? »